16 novembre 2015

John Harvey, Ténèbres, ténèbres : la dernière enquête de Charlie Resnick

Le dernier Charlie Resnick... On a du mal à y croire, surtout après avoir refermé Ténèbres, Ténèbres. L'enquêteur de John Harvey est seul, à nouveau. Lynn, sa collègue et compagne, a trouvé la mort, abattue à la fin de sa dernière enquête. Charlie Resnick est donc seul avec son vieux chat. Le seul qui lui reste. Charlie Resnick est vieux, las, terriblement triste. Pas vraiment à la retraite puisqu'il a accepté un poste d'enquêteur civil à temps partiel : il intervient sur certaines affaires pour assurer des interrogatoires, des vérifications. Charlie Resnick écoute du jazz, toujours. Mange des sandwiches, toujours. Et cède aux instances de la jeune et brillante Catherine Njoroge, remarquable inspectrice d’origine kenyane qui vient d’arriver à Nottingham.

On vient de retrouver dans les fondations d’une maison le corps d’une femme décédée trente ans auparavant, en 1984, pendant les grèves de mineurs violemment réprimées par la police anglaise. A l’époque, Resnick était un jeune flic. C’est donc tout naturellement vers lui que va se tourner Catherine Njoroge quand il va s’agir de constituer une équipe d’enquêteurs. Il ne faudra pas bien longtemps pour établir l’identité de la victime : il s’agit de Jenny Hardwick, volatilisée en 1984.

Symboliquement, le roman s’ouvre sur une scène d’enterrement : Charlie Resnick assiste aux obsèques d’un ancien leader syndicaliste de l’époque, Peter Waites. Un des plus durs sur les piquets de grève, un des plus virulents, qui malgré cela deviendra l’ami de Resnick. Charlie se sent vieux, un peu comme le John Rebus de Ian Rankin qui lui aussi assiste à des obsèques au tout début du roman qui marque son grand retour. Hasard ? Resnick, comme Rebus, est un solitaire. Comme Rebus il aime la musique : chez lui, c'est le jazz ; chez Rebus, c'est le rock mais l'amour est le même, et la tristesse aussi. Dans l'entourage de Charlie Resnick, la mort est devenue une vieille habituée. Et le surgissement de cette histoire du passé est sans doute la seule chose qui va réussir à le sortir d'une dépression rampante... Même si c'est aussi l'occasion pour lui de replonger dans un passé douloureux, un passé dont il n'est pas fier. Car le rôle de la police dans les grandes grèves des années 80 n'a rien de glorieux. Et la disparition inexpliquée de Jenny n'a pas été oubliée par les protagonistes de l'époque. Jenny n'était pas n'importe qui : femme d'un mineur non gréviste, elle a eu l'audace de se ranger du côté des grévistes, et même de jouer un rôle important dans le mouvement. Jenny, mère de trois enfants, est belle, intelligente, charismatique. C'est elle que Peter Waites choisira pour porter la bonne parole dans les meetings et les conférences. Au grand dam de son mari, mineur taciturne et bosseur, condamné à garder les petits pendant que Madame parade. En 1984, les femmes n'ont pas fini de s'émanciper... Auront-elles fini un jour d'ailleurs ? Toujours est-il qu'un soir, au lieu de rentrer chez elle en retard, Jenny disparaît.
Trente ans plus tard, l'enquête promet d'être difficile. Beaucoup de témoins ne sont plus là, d'autres ont la mémoire qui flanche. Avec Catherine, Resnick suit des pistes, s'égare, trouve ce qu'il ne cherche pas. Et au bout du compte, tout autant que le coupable, c'est la victime qu'ils cherchent tous les deux. Qui était vraiment Jenny ? Epouse et mère de famille, bonne copine, militante, femme infidèle, femme révoltée ? Tournant en cercles concentriques, les enquêteurs s'approchent, lentement mais sûrement, du cœur du problème plutôt que d'une vérité absolue.

Pour son dernier roman, John Harvey multiplie les points de vue, affirme sa position politique, décrit les événements de 1984, qui ont déjà beaucoup servi aux écrivains anglais, sous l'angle de la police, et c'est encore plus terrible. Et à travers le sort de Jenny, mais aussi celui de Catherine, en butte au racisme, au sexisme et à la violence de l'homme qui dit l'aimer, il rend un hommage appuyé aux femmes et à leurs combats sans fin. Ténèbres, ténèbres porte bien son titre : John Harvey s'offre le luxe d'un véritable roman noir, bouleversant, pessimiste. La relative lenteur de l'action, servie par un style à la fois précis, imagé, poétique, laisse à l'auteur le temps de déposer, enfin, les armes avec une élégance incroyable : avec Ténèbres, ténèbres, John Harvey signe un texte magnifique, qu'on lit le cœur serré, et qui nous fait regretter, amèrement, qu'il soit le dernier. Merci, Mr. Harvey.

John Harvey, Ténèbres, ténèbres, Rivages / Thrillers, traduit de l'anglais par Karine Lalechère.

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